Auteur : Maurice Dantec
Titre :
Les résidents
Parution :
2014 aux éditions
Inculte
Réédition en poche : 2016 aux éditions Actes sud, coll. Babel noir
Réédition en poche : 2016 aux éditions Actes sud, coll. Babel noir
Maurice
Dantec avait laissé plusieurs lecteurs sur le carreau, dont votre humble
serviteur, avec son roman Satellite
sisters, aussi indigeste qu’hermétique. Les
résidents, opus écrit en 2010, soit avant la « suite » de Babylon babies, s’inscrit assez logiquement comme successeur de Métacortex (ne serait-ce que par la
présence du souterrain) tout en laissant entrevoir le fumeux processus
cosmonarratif à la sauce rétro-futur qui nous avait fait perdre notre latin. Les résidents se positionne parmi les
plus grandes œuvres de l’auteur, une météorite viscérale et intimiste
poignante, avec des fulgurances linguistiques le plaçant à des années lumières
au-delà de la plupart de ses « collègues ». Du Dantec comme on
l’aime, quoi !
Dans ce
récit trinitaire, nous suivons le parcours de Sharon, une canadienne de 28 ans
victime d’un viol collectif ; Novak, un immigré serbe réfugié en Amérique
du Nord qui se transforme en tueur de masse ; Venus, kidnappée encore
enfant par son géniteur pendant une dizaine d’années, violée elle-aussi,
chosifiée-déshumanisée.
Un tableau d’une grande noirceur sous une plume cinglante
et chirurgicale.
Ces deux
jeunes femmes - qui ne le sont plus depuis leur « accident » - vont se reconstruire, d’abord au niveau de la
chair, puis dans leur âme, en devenant des tueuses. Engagées avec le jeune
serbe Novak, Sharon et Venus sont des armes-machines vivantes au service d’un
plan mystérieux.
La prose
de Dantec tend de plus en plus vers le quantique (Max Planck), vers la Lumière
(Dieu n’est-il pas la Lumière des lumières ?), l’importance des nombres, le
langage-machine de William Burroughs, tout en poursuivant la distillation par
petites touches de ses influences théologiques (les scolastiques Thomas d’Aquin,
Jean Duns Scot ou Guillaume d’Ockham ne sont pas loin). Mais Dantec, c’est
encore et toujours un écrivain rock’n roll comme il se plaît à le dire. Il n’est
donc pas surprenant de voir surgir de-ci de-là les paroles de Depeche Mode, David
Bowie, Nine Inch Nails ou Psychedelic Furs. Par ailleurs, la série télé X-Files est très
présente en début d'ouvrage durant la séquestration de Venus (au passage, si quelqu’un a des
nouvelles de David Duchovny, ce serait gentil de prévenir). Et au milieu de la multitude
des théories du complot, vous découvrirez qui se cache véritablement derrière l’assassinat de
JFK.
L’auteur aime
partager sa culture. Dans un monde où celle-ci s’efface peu à peu en lieu et
place du consumérisme à outrance, on peut difficilement lui en faire un
reproche.
Une remarque par ailleurs à l’attention de la bien-pensance
française. Permettez-nous de citer René Guénon qui, étrangement, ne figure dans
aucun programme scolaire : cette citation provient du fort recommandable « La crise du monde moderne », publié
en 1927 :« Ne voit-on pas à chaque instant des gens qui veulent
juger l’œuvre d’un homme d’après ce qu’ils savent de sa vie privée, comme s’il
pouvait y avoir entre ces deux choses un rapport quelconque ? ». A nos yeux, Dantec fait parti des plus grands stylistes contemporains
et, à ce titre, il est dommage qu’il soit dénigré ainsi par toute une frange d’intellectuels
ou présumés tels. Gageons que le temps - ce bon vieux simulacre - le replacera tôt ou tard à sa juste valeur.
Dantec
signe un roman ample, étincelant, au style unique qui le distingue définitivement comme un écrivain inclassable-transgenre dans le paysage littéraire francophone. On attend
déjà son prochain livre, qui sera peut-être en cristal-laser, ajoutant une
autre pierre à son métaprogramme en devenir.