mercredi 20 août 2014

Mu, le maître et les magiciennes - Alexandro Jodorowsky



Auteur : Alexandro Jodorowsky
Titre : Mu, le maître et les magiciennes
Editions Albin michel
Parution : 2008 (VO, 2005)


Artiste accompli aux talents multiples, Alexandro Jodorowsky aura marqué de son empreinte le septième art avec des films choquants et métaphysiques tels La montagne sacrée ou El Topo et d'autres plus autobiographiques comme La danse de la réalité et Santa sangre. C'est d'ailleurs par l'échec d'un projet pharaonique - l'adaptation du cycle de Dune de Frank Herbert - qu'il s'orienta vers la bande dessinée aux côtés du génial Jean Giraud, alias Moebius, donnant naissance à l'une des plus belles séries de la science-fiction, à savoir L'incal. La vie de Jodorowsky étant enrichit d'incroyables rencontres, il n'est pas surprenant que l'auteur ait publié plusieurs ouvrages sur son parcours hors du commun.

Si "La danse de la réalité" se distingue comme son oeuvre la plus aboutie, "Mu, le maître et les magiciens" offre une matière imposante à la réflexion. L'auteur évoque sa rencontre capitale au Mexique avec un moine zen, Ejo Takata, qui bouleverse avec fracas sa vision de la vie à travers la méditation et les kôans. Jodorowsky parle aussi d'aventures érotiques et rocambolesques avec des femmes "magiciennes" qui ont détruit les barrières émotionnelles qui l'emprisonnaient depuis son enfance (sa mère ne le touchait ni ne le caressait, son père le terrorisait pour le rendre courageux) : en particulier la peintre fantasque Leonora Carrington et Reyna d'Assia - fille du célèbre occultiste Gurdjieff -, qui lui enseigne l'amour et les commandements de son père. Jodorowsky raconte par la suite l'expérience que Reyna vécue auprès d'un sorcier en "visitant la terre des morts" sous l'emprise de champignons hallucinogènes, un voyage qui la transforma en profondeur.
D'une fantaisie quasiment sans limites, la frontière entre le réel et le fantasmé semble bien floue dans les multiples récits contés. Ce défaut apparaît bien mineur devant la fascination que procure une telle lecture. Enthousiasmante, elle donne envie de soulever des montagnes et de croquer la vie à pleines dents. L'auteur invite à regarder le monde sous tous les angles, en ne restant pas cloîtré dans un système de pensée. 

Lire Jodorowsky s'avère une expérience réjouissante et déroutante. Il fait parti des auteurs que j'admire et qui stimulent le plus mon imagination. Son esprit insatiable, débordant d'idées, et sa soif d'expérimentations diverses et variées en font à mes yeux un modèle que tout un chacun devrait s'efforcer de suivre.

lundi 18 août 2014

Le mont analogue - René Daumal



Auteur : René Daumal (FRA)
Titre : Le mont analogue
Parution : 1952 [à titre posthume]
Editions Gallimard
Réédition : 2012


Connu pour deux romans aussi inclassables que prodigieux - "La grande beuverie" et "Le mont analogue" caractérisés par plusieurs niveaux de lecture - René Daumal fait figure d'ovni dans le paysage littéraire français. Emporté à seulement 36 ans par la tuberculose en 1944, il laissera malheureusement son ambitieuse dernière oeuvre inachevée. Cette quête spirituelle en forme de récit initiatique offre une grille aux compréhensions multiples, dont je vous livre mon interprétation. Interprétation assurément variable d'un lecteur à l'autre en fonction de sa vision du monde.

Un homme prétend à l'existence d'une montagne qui serait la plus haute de la planète, que personne n'a encore découverte. Un savant farfelu croit à son histoire et se lance dans de complexes calculs pour localiser cette immensité dont le sommet serait inaccessible au commun des mortels. Il en ressort que la courbure de l'espace dissimulerait l'entrée de cette "frontière invisible", camouflant ainsi la mystérieuse montagne sacrée. Une expédition maritime de huit membres part à sa recherche...

Ce livre bénéficie comme nous l'avons dit plus haut de différents niveaux d'interprétation. Au premier, la trame bien visible des étapes successives de cette quête du mont Analogue et, au second plan, les interstices qui sont assurément les plus importantes. En effet, gravir ce sommet physique s'apparente pour chacun des aventuriers à une ascension spirituelle, un "lien entre le Ciel et la Terre", ayant pour ambition de toucher du doigt le monde de l'Eternité. Plus on s'élève intérieurement, débarrasser du poids des tracas quotidiens, libérer des émotions et des pensées envahissantes, plus le divin nous envahit. Ainsi "l'homme peut s'élever à la divinité et la divinité se révéler à l'homme." Daumal met en garde le lecteur en l'incitant à se méfier de la surface des choses. Chacun peut s'il en a la conviction, tendre vers cette frontière pour cueillir la "Rose-amère", fleur de la Connaissance. Toutefois, "le chemin des plus hauts désirs passe souvent par l'indésirable". Il faut beaucoup de temps pour obtenir le véritable silence intérieur, décourageant bon nombre de néophytes gagnés par "le doute et l'impatience". L'exemple de la méditation illustre parfaitement ce sentiment de frustration. On lutte d'abord physiquement contre le fourmillement des jambes et surtout l'on est confronté à l'ennui, au stress, au sentiment de perdre son temps, à toutes les pensées parasites si difficiles à évacuer. Mais lorsque l'on commence à entrevoir le niveau supérieur-cosmique, une sensation de bien être s'empare de notre corps. En sachant que Daumal a rencontré un disciple de Gurdjieff (je vous renvoie à "Fragments d'un enseignement inconnu" de Ouspensky), on comprend mieux le message sous-jacent qu'il a voulu nous transmettre. 

Le mont analogue aurait du se terminer avec le chapitre "Et vous, que cherchez-vous ?" Voilà bien une question existentielle qui n'a pas fini d'animer l'humanité. Car à l'instar de cette ascension inachevée, la recherche d'absolu, de pureté, ne se termine jamais, et demeure l'apanage des dieux.

vendredi 1 août 2014

Un monde de voleurs - James Carlos Blake



Auteur : James Carlos Blake (USA)
Titre : Un monde de voleurs
Editions Payot
Parution : 2009 (VO, 2002)


Lorsque l'on évoque le monde du polar, on pense inévitablement à, de mon point de vue, la plus grande collection du genre qu'est celle des éditions Rivages. Avec pour chefs de file les James Ellroy, David Goodis, Jim Thompson, Dennis Lehane, Elmore Leonard, David Peace, Edward Bunker, Tony Hillerman et j'en passe, nul doute qu'elle a fière allure. James Carlos Blake ne figure pas souvent dans les illustres noms cités et pourtant il n'a rien à leur envier. En témoigne ce petit joyau absolument génial qui se dévore littéralement.


James Carlos Blake nous embarque en Louisiane et au Texas, durant les années 20. On trouve de nombreux ingrédients bien connus tels le monde des bars, les bordels, les salles de jeux et en toile de fond l'explosion de l'industrie qui fait vivre une fourmilière d'ouvriers. C'est dans ce contexte qu'une famille de gangsters enchaîne les cambriolages et les tricheries aux jeux de cartes ou de dés. Lors d'un braquage de banque, Sonny se fait choper par un convoi de flics qui passait dans le coin. Ses oncles Buck et Russell ont réussi à prendre la tangente. Au poste de police, Sonny tue accidentellement un agent, fils d'un policier carnassier nommé John McCabe, qui le pourchassera jusqu'en enfer. Sonny écope d'une peine de 30 ans à la prison Angola, à la réputation terrifiante, et ne compte pas y faire de vieux os...

Ce roman magnifique brille par une écriture visuelle très cinématographique, ainsi que par des dialogues aux petits oignons, comme on en lit rarement. D'ailleurs, lorsque l'on en vient à ralentir la cadence pour le savourer plus longuement, c'est un signe qui en dit long. Cette famille de gangsters nous est effectivement attachante, vivant à deux cent à l'heure et poussant la chansonnette après leurs braquages. On suit leur quotidien, leurs amours et leurs engueulades avec beaucoup de plaisir. S'il n'y avait qu'un infime bémol à pointer, ce serait le dernier quart du livre un poil répétitif, mais on lui pardonne volontiers temps le reste s'avère grandiose.


Avec "Un monde de voleurs", on se prend une bonne claque dans la gueule. C'est un roman jubilatoire, trépidant, parfois âpre et assurément mémorable. Il paraît que le reste de son oeuvre est du même acabit, ce qui promet des heures de lecture palpitante en perspective. Espérons simplement qu'il ne faudra pas attendre la mort de Blake pour qu'il soit enfin reconnu à sa juste valeur, car nul doute qu'il s'agit là d'un très grand écrivain !