mercredi 27 novembre 2013

Cabale - Clive Barker


Auteur : Clive Barker (ANG)
Titre : Cabale
Parution : 2003 (VO, 1988)
Editions J'ai lu


Figurant parmi les plus grands auteurs de littérature d'horreur en compagnie des Lovecraft, Blatty, Poe, Masterton, Stephen King ou encore James Herbert (pour ne citer qu'eux), Clive Barker occupe une place de choix avec une bibliographie alliant des romans et des nouvelles réunies dans les recueils intitulés "Livres de sang".  "Cabale", son quatrième roman publié à la fin des années 80, montre que les pires monstres ne se trouvent pas toujours là où l'on croit.


Le patient du psychiatre Dekker, un certain Boone, avoue durant les transes dans lesquelles le plonge le docteur, qu'il aurait commis une dizaine de meurtres, tous plus sordides les uns que les autres. Seulement, une fois sortie de cet état d'exaltation, l'homme ne se rappelle de rien. Désespéré, Boone fait une tentative de suicide ratée qui le conduit à l'hôpital. Son compagnon de chambre, visiblement bien cramé du cerveau, évoque le nom de "Midian", un endroit dans le désert de l'Athabasca où se regroupent les damnés de la terre, les êtres qui souffrent horriblement. Convaincu de pouvoir y trouver un refuge, et ainsi de mettre un terme à ses crimes, il part sur ce lieu étrange. En effet, Boone découvre une ville fantôme. Un peu à l'écart de la cité, dans un cimetière, plus précisément sous ce cimetière, une horde d'êtres hybrides - véritables monstres - occupent ce "territoire". C'est le début des ennuis pour Boone, et l'occasion d'une rencontre unique avec le Baphomet...

L'axe du récit s'enroule autour de la relation amoureuse entre Boone et Lori (sa compagne) qui se trouve mêlée à cette histoire terrifiante. Cela fonctionne plutôt bien et l'on peut regretter que cette zone du Midian ne soit pas plus développée par l'auteur : quand a-t-elle été créée, comment s'organise cette micro-société souterraine, l'importance des métamorphoses, etc. Barker parvient à entretenir un suspense efficace, sans temps mort, via des scènes fortes, en mettant notamment de manière frappante en évidence le fait qu'il existe d'autres monstres, au-delà des apparences visuelles. En faisant tomber le masque, Barker appuie là où cela fait mal, en touchant à ce qui est le plus intime en l'homme. Qui sont les plus inhumains ? Ces monstres planqués de tous ou certains humains habités par le Mal ? La réponse sans équivoque à ce questionnement se démarque comme étant le message fort du roman.


Un bon livre de Clive Barker donc, alliant une intrigue inquiétante et en toile de fond une intelligente réflexion sur nos semblables. 



dimanche 10 novembre 2013

Osama - Lavie Tidhar



Auteur : Lavie Tidhar (Israélo-Sud Africain)
Titre : Osama
Editions Panini
Parution : 2013 (VO, 2011)


Né en Israël, Lavie Tidhar a pas mal bourlingué puisqu'il a également vécu en Angleterre, en Afrique du Sud, ainsi que plus brièvement à Vanuatu et au Laos. Récompensé par le World Fantasy award de 2012, "Osama" tient non seulement ses promesses, mais en plus de ça il se démarque par son atmosphère envoûtante et mystérieuse, donnant l'impression de nous trouver dans un film mélangeant habilement polar et onirisme. Un grand livre à n'en pas douter !


Embauché par une femme à Vientiane au Laos pour retrouver  Mike Longshott, un écrivain de romans de gare dont le "héros" se nomme Oussama Ben Laden, le détective qui répond au nom de Joe n'a pas idée du guêpier dans lequel il va se fourrer. Son enquête l'emmènera tout d'abord à Paris sur les traces de l'éditeur de Longshoot, ville où il se fera tabasser dans un parc par des agents spéciaux américains (du moins le suppose-t-il car ceux-ci n'ont pas fait les présentations), ensuite à Londres où il enchaînera ses inspections dans des pubs et une fumerie d'opium, avant de se rendre à New-York et enfin terminer son périple à Kaboul. Au fil des rencontres plus ou moins courtoises, la toile se tisse, emprisonnant aussi bien le détective que le lecteur, happés par le mystère s'épaississant.

Ce roman audacieux et profondément intrigant brille par son ambiance teintée de fantastique. La grande force de Lavie Tidhar consiste à créer un monde très cinématographique, captivant de bout en bout,  dans lequel un voile de fumée nous empêche de distinguer la réalité. En effet, l'enquêteur discute à plusieurs reprises avec des femmes qui disparaissent comme par enchantement, d'autres ayant une enveloppe corporelle floue jusqu'à la transparence. Plus le récit avance, plus l'étrangeté est manifeste. Joe est-il victime d'hallucinations ou les mondes du rêve et du réel ont-ils fusionnés ?  Pourquoi cet acharnement à le contraindre de stopper ses recherches ? L'auteur se plait à brouiller les pistes en mélangeant des faits réels (des attentats terroristes) à des faits imaginaires. Il prend même le contre-pied du réel en faisant de Ben Laden un personnage fictif, n'ayant jamais existé en dehors de la plume de Longshott. Le roman se dévore d'une traite tant il est prenant, procurant un enthousiasme que l'on éprouve trop rarement.


Lavie Tidhar frappe un grand coup avec ce fascinant roman publié dans la belle collection Eclipse de Panini, qui me laisse à penser qu'elle sera l'une des plus intéressantes dans les mois à venir. J'attends déjà avec impatience une traduction de "The violent Century", deuxième roman de l'auteur sorti en 2013.








vendredi 8 novembre 2013

Point oméga - Don Delillo


Auteur : Don Delillo (USA)
Titre : Point oméga
Parution : 2013 (VO, 2010)
Editions Actes sud, coll. Babel


Dernier roman en date du géant américain Don Delillo, "Point oméga" désarçonne par sa froideur. Il questionne les modifications sociétales qui ont chamboulé notre rapport au temps. Face à la frénésie de l'urgence, l'auteur propose de prendre de la distance et de temporiser. 


Le récit s'ouvre et se ferme par deux chapitres consacrés au film "Psychose", diffusé dans un musée. Le film dure 24h puisqu'il se déroule au ralenti, sans dialogues ni bande son. Cette expérience déconcerte le public qui quitte la salle rapidement, hormis un homme éprouvant une fascination à le regarder sous tous les angles, dénué du moindre suspense, laissant place à un temps infini. 
Ailleurs, Elster, un ancien membre du gouvernement politique américain durant le conflit irakien, part se ressourcer dans le désert de Sonora. Il est bientôt rejoint par un jeune cinéaste qui souhaite avoir sa version des faits sur la guerre en Irak. Les deux hommes parlent de tout et de rien. Le temps passe. Le duo devient un trio lorsque la fille d'Elster débarque. L'ennui finira par prendre le pas, et Elster ne se décide toujours pas à donner sa vision au réalisateur...

La thématique centrale de cet étrange livre s'axe autour de la notion du temps et de notre rapport au réel. 
D'emblée l'auteur opère une rupture nette en incitant le lecteur à voir les choses différemment. Ce film d'une durée interminable s'apparente à un éloge de la lenteur, ainsi qu'un coup de gueule sur l'évolution de nos sociétés ravagées par la vitesse, par son "accélération" pour reprendre le titre du livre du sociologue Hartmut Rosa. Obnubilés par le gain de temps, les hommes sont contraints de vivre de plus en plus vite, pressés par la rentabilité et le profit. Ce rythme effréné augmente le stress qui conduit à de nouvelles maladies. Delillo voit dans la ville une construction faîte pour mesurer le temps, en nous séparant de son écoulement naturel. C'est pour renouer avec ce dernier que le personnage d'Elster a un besoin vital de s'isoler en plein désert, hors du monde.  Selon lui, "la vraie vie a lieu quand nous sommes seuls, à penser, à ressentir, perdus dans les souvenirs, rêveusement conscients de nous-mêmes." 
Delillo va même plus loin en évoquant subrepticement Teilhard de Chardin et son point oméga en nous interrogeant : "Devons nous rester éternellement humains ?" Le penseur envisage un dépassement biologique, une convergence des consciences individuelles en une conscience collective harmonisée qui débouchera sur la noosphère. 


Si l'histoire en elle-même n'est guère captivante, l'ennui gagnant le lecteur au fil des pages, Delillo parvient à nous titiller en mettant un point sur le mal-être occasionné par les changements technologiques et notre rapport au monde. Emprisonnés que nous sommes par la course au temps, l'écrivain nous invite à prendre de la hauteur en posant cette pertinente question : "Comment ce serait, de vivre au ralenti ?" 
"Point oméga" est un livre à moitié convaincant qui laissera probablement quelques lecteurs sur le carreau. 
A vous de voir si vous daignez lui consacrer un peu de votre... temps !




dimanche 14 juillet 2013

Épépé - Ferenc Karinthy



Auteur : Ferenc Karinthy (Hongrie)
Titre : Épépé
Editions Denoël
Parution : 2005 (VO, 1970)


Le hongrois Karinthy est surtout connu pour son étrange roman sur le langage, Épépé, un texte énigmatique écrit en 1970, qui confronte un homme à un monde, ou plus exactement à une langue, qui lui est totalement étrangère. La bizarrerie est d'autant plus intrigante que le personnage s'avère être un brillant linguiste. Mieux encore, l'homme constate rapidement que pour quitter cette cité inconnue, la tâche s'annonce pour le moins délicate, pour ne pas dire impossible.


C'est un angoissant cauchemar éveillé que le linguiste Budaï va endurer en pensant se rendre à Helsinki par avion, afin de participer à un congrès de linguistique. Sur place, le trouble s'empare de l'expert lorsque les habitants ne comprennent goutte à ce qu'il leur dit, quelle que soit la langue usitée. De son côté, leur langue ne lui en évoque aucune. Même en fouillant parmi les moins pratiquées ou les langues mortes. En effet, "celle-ci a une consonance tout à fait bizarre, ne ressemble à rien, un parfait charabia pour lui, tout comme leur écriture, un gribouillage vide de sens."
A son hôtel, Budaï obtient de la monnaie locale contre son unique chèque de voyage. Dans ses démarches pour trouver une solution, il est à chaque fois englué dans d'interminables files d'attente, à la réception, à l'ascenseur et à la restauration. S'appuyant méthodiquement sur toutes les connaissances dont il dispose, il essaie en vain de se faire comprendre pour se rendre à l'aéroport, à l'office du tourisme, à une ambassade ou simplement quitter la ville. Il va même jusqu'à agresser un policier, mais à son grand désespoir, au commissariat, on le prend pour un vagabond ou un fou. Prisonnier de ce "labyrinthe colossal et surpeuplé", ce piège irrationnel fait osciller Budaï entre les égarements de sa raison et un profond abattement. Et par-dessus ça, il arrive au bout de l'argent échangé...

En dépit de l'absurdité apparente de la situation, la ville-prison fonctionne quant-à elle tout à fait logiquement. Là où le développement du roman est particulièrement intéressant, c'est sur le fait que l'homme est sain d'esprit, qu'il raisonne intelligemment, et qu'il expérimente quantité de choses pour se tirer de ce guêpier. Il utilise jusqu'à ses brèves notions scolaires d'astronomie afin de tenter de se localiser. Il garde aussi à l'esprit qu'il se situe peut-être dans une zone géographique jusqu'alors inexplorée, et se doit par conséquent de l'étudier à l'instar d'un ethnologue. Le livre aurait été quasiment parfait en gommant quelques longueurs dans la dernière partie.  Il n'en demeure pas moins une expérience curieuse et déroutante.


Karinthy nous offre un roman captivant et particulièrement angoissant, qui marque par sa sidérante banalité. Car le lecteur peut aisément se mettre à la place du personnage emprisonné dans cette ville d'une inquiétante étrangeté, éprouvant lui aussi un malaise vertigineux. Atypique et sidérante, cette oeuvre occupera sans nul doute une place de choix dans votre bibliothèque.

vendredi 12 juillet 2013

Descendre en marche - Jeff Noon



Auteur : Jeff Noon (ANG)
Titre : Descendre en marche
Editions La volte
Parution : 2012 (VO, 2002)


Adulé en Angleterre depuis son roman "Vurt" paru en 1993, Jeff Noon ne bénéficie hélas pas de la même ferveur dans nos contrées. Cependant, une poignée de fans attendent toujours avec une grande excitation la traduction d'un nouvel ouvrage du cerveau torturé et profondément génial de l'écrivain. Les adeptes des textes courts pourront découvrir son univers avec le curieux recueil aux nombreuses pépites qu'est "Pixel juice", où il laisse éclater son imagination débordante à travers des récits étranges, singuliers, voire expérimentaux. Pour les autres, il est préférable de commencer par le roman "Vurt", qui devrait rapidement vous rendre accro de par la puissance évocatrice de sa prose, son côté "trashonirique", le tout englobé dans une atmosphère hallucinante et jubilatoire.


Une augmentation significative du bruit conduit à la désagrégation du monde de l'information en Angleterre. Pour remédier à ce désastre, les miroirs doivent être "soignés" en rapportant les morceaux brisés afin de les reconstituer. Les malades les plus "chanceux" combattent leurs perceptions saturées, défaillantes, en ingérant un médicament, "La Lucidité". Au milieu de ce chaos, quatre individus égarés de la vie roulent à bord d'une voiture - elle aussi mourante - sans but précis à première vue. Parmi eux, Marlène Moore, une ancienne journaliste qui tient un journal intime, meurtrie par la disparition de sa fille de neuf ans, emportée par la maladie. Tupelo, une ado paumée qui adore jouer aux échecs, mais aussi le fort en gueule Peacock et enfin la très irritable Henderson. La folie gagne peu à peu de l'emprise sur le groupe, et qui sait ce qui les attend au bout du chemin...

Jeff Noon adore perturber son lecteur en brouillant les repères. Les mondes vurtuels, les hybridations en tout genre sont parties intégrantes de son oeuvre. Ici, les objets de communication sont comme nous l'avons vu malades : "Les antennes radio crépitaient de bruit" et "les machines faisaient [...] un chagrin électronique." Même les livres sont touchés, dans cette improbable et déroutante bibliothèque d'un musée où les lettres s'effacent au fur et à mesure de leur lecture : "Les mots que je venais de lire, ils avaient disparu du livre". L'histoire est proprement "détruite par l'acte de lecture". La surréalité de ce phénomène interpelle le lecteur en même temps que les personnages, victimes interloquées devant un fait insensé. On note aussi une fois de plus l'influence de Lewis Carroll, à travers les miroirs, ainsi qu'un clin d'oeil avec la joueuse d'échecs. Miroirs qui dévorent l'apparence des gens, comme le personnage de Kingsley, hanté par son fantôme dans sa maison. "Descendre en marche" demeure tout de même moins fou et débridé que ses autres romans, optant pour une tonalité sombre et triste, sur lequel plane la pesante et tragique mort de la fille de Marlène. Il n'en reste pas moins de qualité, et fortement recommandable.


Jeff Noon n'est décidément pas un auteur comme les autres. "Descendre en marche" ajoute une pierre de plus à son édifice, à mes yeux proprement fascinant. Il cultive les mots avec une magnificence et une originalité qui le rendent unique et inclassable. On trépigne déjà d'impatience de se précipiter sur son roman à paraître en fin d'année, toujours aux éditions La volte, qui se nomme "Needle in the Groove", en croisant les doigts pour qu'elles enchaînent avec la traduction du dernier livre en date de l'auteur, "Channel SK1N".
Pour votre santé, songez à la noonothérapie ! 


mercredi 10 juillet 2013

Le brouillard - Henri Beugras



Auteur : Henri Beugras (FRA)
Titre : Le brouillard
Editions L'arbre vengeur
Parution : 2013 (première version, 1963)


Les éditions L'arbre vengeur piochent souvent dans le passé pour nous ressortir des oeuvres inaperçues, injustement oubliées ou ignorées. En voici un exemple supplémentaire avec ce délicieux "Brouillard", unique roman d'un certain Henri Beugras. Le livre aborde de manière drôle et tragique un sujet assez peu courant, une cité-prison, qui intrigue par son étrangeté et son onirisme fantastique.


D'emblée Beugras annonce la couleur. Première page, second paragraphe, le narrateur s'adresse à toi, cher lecteur, à titre post-mortem. Celui-ci annonce que son cadavre gît sous un pont, coincé entre des pierres. Le suspense n'a déjà plus lieu d'être. On est alors en droit de s'interroger. Cela vaut-il le coup de se lancer dans l'histoire, en connaissant son dévoilement ? Assurément ! Car l'auteur manie admirablement la langue et parvient à créer une atmosphère du plus bel effet. Le lecteur se demande même au fur et à mesure de sa progression si ce premier chapitre n'était pas un chausse-trappe... Certes. Mais de quoi donc ça cause ?

L'histoire est assez simple. Isidore Duval - le narrateur - prend le train depuis Paris et n'est pas pressé d'arriver à destination. Pour éviter une mauvaise nuit dans le train, il descend au hasard à une gare afin de se trouver un bon petit hôtel. Une fois sortit de la gare, l'homme se perd au milieu d'un épais brouillard en pleine nuit. Il parvient laborieusement à trouver un centre d'accueil. Là, Isidore se coltine deux grossiers personnages qui le bassinent de questions administratives. Plus curieux, ils lui affirment qu'il n'y a aucune gare dans cette ville. Pas plus que d'aérodrome, ni de routes venant de l'extérieur. Duval reste zen, pensant que ces deux idiots lui font une blague. Plus tard, la patronne de l'hôtel en remet une couche en lui révélant que le seul moyen de quitter cette ville, c'est de mourir ! Bien sûr, quelques aventureux ont tenté de défier cette risible situation. Les malheureux ont été retrouvés morts d'on ne sait quoi à proximité de la ville. D'autres ont essayé une évasion par le fleuve, mais inlassablement, ce dernier rejetait à la ville les infâmes carcasses. 
Les habitants, dont d'incessants "étrangers" viennent grossir la cité, se sont fait pour la plupart une raison, en continuant de vivre "normalement". Ce qui n'empêche pas qu'à l'exception des novices, tous les citadins portent un masque pour camoufler leur peau dégradée, comme s'ils voulaient aussi consciemment ou non se rassurer en se disant que tout ceci n'est peut-être qu'un mauvais rêve. 

"Le brouillard" s'avère donc globalement un excellent roman mi-réel mi-fantastique, qui manie avec habileté le côté dramatique de ce piège irrationnel, en ajoutant des couches cocasses dans l'agencement de la vie quotidienne. Sur ce registre de ville-prison, je vous conseille vivement le roman Epépé du hongrois Karinthy, dans lequel un linguiste pensant atterrir à Helsinki pour participer à un congrès, est confronté à des habitants qui ne comprennent rien à ce qu'il raconte, qu'elle qu'en soit la langue. Lui est de son côté dans l'incapacité d'identifier, d'analyser la leur. Il mettra toutes ses connaissances dans la bataille afin de sortir de cette impasse. 


Voilà bien un livre qui mérite une seconde chance et un auteur qui gagne à être davantage connu. Et pour ce que vaut mon conseil : Lisez-le !


vendredi 21 juin 2013

Point zéro - Antoine Tracqui



Auteur : Antoine Tracqui (FRA)
Titre : Point zéro
Editions Critic
Parution : 2013


Médecin légiste, expert auprès des tribunaux, spécialiste en toxicologie, le strasbourgeois Antoine Tracqui entre en grandes pompes dans le monde de l'écriture. Car il s'agit là d'un véritable coup d'éclat que ce polar historique et d'anticipation. Une comète qui débarque sans crier gare et vous laisse pantois, scotché par sa démesure. Une trouvaille des éditions Critic qui fera grand bruit à n'en pas douter. 



1938. Italie. L'OVRA (police politique de Mussolini) pourchasse un fugitif dans les rues de Palerme. Cet homme est un savant qui garde précieusement une mallette, fruit de longues années de travail, qui attise la convoitise de bon nombre de personnes.
2018. Zimbabwe. L'équipe du milliardaire Kjolsrud (fondateur de la société K2 basée aux Etats-Unis qui développe la recherche dans le domaine de l'armement et de l'aérospatiale, et fait de l'exploitation pétrolière), envoie son équipe de commandos pour récupérer le directeur de la Hard Rescues, Caleb McKay, disparu lors d'un éboulement dans une mine d'or. Celui-ci vérifiait la stabilité des galeries avant la reprise de l'activité suite à un précédent éboulement. Après avoir été récupéré, il intègre l'équipe du milliardaire pour une mission spéciale en Antarctique. Cette dernière a un lien avec l'opération américaine Highjump datant de 1947, menée par l'amiral Byrd, dont l'objectif majeur était l'exploration du continent, mais aussi de faire des expériences militaires tant sur le matériel que sur les hommes, confrontés à des conditions extrêmes. Kjolsrud semble en savoir beaucoup plus qu'il ne veut bien en dire, en témoigne son intense excitation lorsque son équipe met la main sur un mystérieux Oeuf. Dans le même temps, un commando russe dirigé par le général Iazov à l'ordre du président Poutine de récupérer à tout prix cette précieuse chose. Le conflit est alors inévitable...

Mené de main de maître, "Point zéro" brille par une qualité d'écriture indéniable, un vocabulaire très élaboré, pointu dans les descriptions militaires, aéronautiques et scientifiques. Une impressionnante documentation crédibilise l'histoire. Si le récit anticipe de quelques années seulement le présent, puisque l'action se déroule en 2018, il est imbriqué et s'origine sur la période 1938-1947, à travers des événements de la seconde guerre mondiale. Tracqui immisce quelques machines comme les robots asimov, les intelligences artificielles,  ou encore une étrange créature (in)humaine issue d'un programme expérimental secret nazi, récupéré par l'union soviétique après la chute du troisième Reich. Les mathématiques et la physique sont aussi présentes. En effet, en plus d'intégrer dans son récit le physicien Ettore Majorana, l'auteur aborde également l'espace Calabi-Yau. On retrouve d'ailleurs quantité de personnages ayant réellement existé. La dimension géopolitique quant-à elle, est le moteur de cette quête, via une confrontation entre les blocs Est-Ouest, comme au temps de la Guerre froide. Par ailleurs se dissimule un voile ésotérique sur l'ambition du Reich de "créér" à l'époque des surhommes via des expériences psychiques et physiques, afin de transformer les militaires en super-soldats. On le voit, Tracqui n'hésite pas à voir les choses en grand, à embrasser de nombreux concepts et plusieurs époques historiques. Si l'on reproche souvent le côté nombriliste des écrivains français, voilà bien un défaut qui ne s'applique aucunement à cette oeuvre colossale. On peut d'ores et déjà se réjouir qu'une suite se prépare dans les tuyaux. Suite que l'on attend impatiemment.



Formidablement construit, "Point zéro" est un livre ébouriffant de bout en bout qui devrait marquer durablement les lecteurs. N'ayons pas peur d'affirmer que ce sera une des oeuvres les plus abouties de l'année dans le domaine francophone. Dense, complexe, prenant et intelligent, sont autant de qualificatifs pour évoquer ce roman mémorable. 




dimanche 2 juin 2013

Fer-de-lance - Rex Stout


Auteur : Rex Stout (USA)
Titre : Fer-de-lance
Editions Le Masque poche
Réédition : 2013 (VO, 1934)


Détective privé new-yorkais, Nero Wolfe est un personnage créé par l'américain Rex Stout. Sa première enquête fut publiée en 1934 et sa dernière (la 33ème) en 1975, année de la mort de l'auteur. Pesant plus de 100 kg, le détective résout les affaires calé dans son fauteuil qu'il ne quitte que rarement. Il consomme en moyenne six litres de bière par jour. Sa grande passion est celle des orchidées, qu'il confie à son jardinier, plantées sous une serre, en bordure de son domicile. Ainsi, chaque jour, durant 4 heures et à heures fixes, il déambule parmi elles. Il dispose d'un homme de main, Archie Goodwin, pour enquêter sur le terrain. 


Inquiète de la disparition de son frère depuis 48h, une femme demande à Nero Wolfe d'entreprendre des recherches, car la police ne semble pas s'affoler outre mesure. Deux jours plus tard, l'homme est retrouvé poignardé dans le dos. Ailleurs, un président d'université meurt empoisonné sur un parcours de golf. Le détective pense qu'un lien existe entre les deux meurtres, bien que rien ne puisse indiquer que c'est le cas...

Le détective Nero Wolfe est un personnage à la fois attachant, excessif (alcool, gourmandise), d'une intelligence supérieure, maniaque au possible, et d'une modestie légendaire "je ne suis qu'un génie, pas un dieu". Archie Goodwin, le narrateur de l'histoire, n'est pas en reste non plus. Volontiers taquin envers son employeur, n'hésitant pas à faire savoir son mécontentement lorsqu'il le tient trop à l'écart ou ne le met pas dans la confidence. Goodwin serait même de la trempe des grands s'il ne se contentait pas de collecter les faits au lieu de ressentir les phénomènes, comme se plaît à lui rappeler fréquemment le détective. L'enquête se suit agréablement, le tout dans une belle fluidité. Il est cependant dommage que l'auteur ne décrive pas davantage la ville de New-York, pour donner une plus ample dimension au récit.


Cette réédition est une excellente initiative, et sera poursuivit on l'espère avec d'autres titres de la série. Un polar plaisant à (re)découvrir, que je vous recommande !




lundi 1 avril 2013

L'homme truqué - Serge Lehman & Gess


Titre : L'homme truqué
Scénariste : Serge Lehman (FRA)
Dessinateur : Gess
Editions L'Atalante
Parution : 2013


Cette bd nous emmène dans le même univers que l'excellente "Brigade chimérique", qui montre la disparition des surhommes en Europe. "L'homme truqué" se veut une adaptation libre du roman de Maurice Renard, dans lequel un capitaine de l'armée française perd la vision suite à une explosion sur un champ de bataille en 1918. Des bolcheviques le dotent d'une vue électrique, en faisant ainsi une sorte de surhomme.

Après sa terrible opération au visage, le capitaine est relâché sans explication dans la nature. Se considérant comme un monstre, il ne sort que la nuit puisqu'il peut se mouvoir grâce à ses facultés nouvelles, à l'instar du Nyctalope. Le savoir de Marie Curie, la reine du radium et de la super-science, est convoqué pour capturer ce voleur de nourriture et de vêtements. Ils se rendent vite compte que ses actes sont davantage liés à son instinct de survie, plutôt que de voler les biens d'autrui. Aux côtés de l'écrivain Maurice Renard, le capitaine mutilé découvre une menace d'une grande envergure, qu'ils vont tenter d'éradiquer...

Le scénario prenant de Lehman nous fait découvrir quelques auteurs phares du début du XXè s qui sont pour la plupart un peu tombés dans l'oubli, même si certains ont été réédités, d'autres n'ont pas encore eu cette chance. Les principales oeuvres de Maurice Renard sont regroupées dans un imposant volume de romans et contes fantastiques dans la collection Bouquins de Robert Laffont, tandis que Rosny Aîné a également été remis à l'ordre du jour dans un épais livre aux éditions Bragelonne, sous le titre "La guerre des règnes".
La brièveté de la bd fait que l'on reste un poil sur sa faim, car on sent que Lehman a beaucoup de choses à nous transmettre dans sa démarche de redonner vie à des auteurs et leurs personnages de surhommes d'avant la seconde guerre mondiale. Cette anamnèse fort louable doit logiquement continuer puisque d'autres projets sont en cours.

Pour ceux qui n'ont pas encore lu "La brigade chimérique", cette bd est une excellente passerelle pour vous y conduire, et dans le sens inverse, "L'homme truqué" s'avère une pierre supplémentaire dans la (re)découverte des surhommes européens. L'ensemble hautement recommandable donne aux lecteurs le désir de prolonger l'univers à travers les romans des écrivains cités. Une réussite !



vendredi 1 mars 2013

Cristal qui songe - Theodore Sturgeon



Auteur : Theodore Sturgeon (USA)
Titre : Cristal qui songe
Parution : 1975 (VO, 1950)
Editions J'ai lu


Theodore Sturgeon est un écrivain de science-fiction américain qui a livré deux romans qui figurent parmi les classiques du genre : "Cristal qui songe" (1950) et "Les plus qu'humains" (1953). 


Renvoyé de son école pour avoir mangé des fourmis, Horty Bluett (8 ans), sait que ça va être sa fête lorsqu'il  rentre à son domicile. Il subit une fois de plus les violences de son père adoptif. Meurtri, se sentant depuis trop longtemps mal-aimé, le petit garçon fugue avec son seul véritable ami, Junky, un polichinelle. 
Recueilli par un camion de forains, Horty joint une troupe de cirque. La naine Zéna le prend sous son aile, tel un fils, et le préserve du terrible "Cannibale", le boss du cirque. Cet individu méprise l'espèce humaine, et se plait à répandre le mal autour de lui. Afin de protéger Horty, Zéna l'a présentée au Cannibale, de son vrai nom Ganneval, comme une naine qui répond au nom de Hortense (ou Kiddo). 
Tandis que Horty/Kiddo pense à se venger de son détestable père adoptif, le Cannibale s'acharne sur des cristaux dont lui seul à la connaissance, dotés de pouvoirs gigantesques...


"Cristal qui songe" est un roman remarquable à plus d'un titre. Il faut savoir qu'aucun élément n'est superflu dans la construction du récit, certaines scènes pouvant avoir une signification ou un éclaircissement quelques pages plus loin, au détour d'une conversation entre deux personnages. Par petites touches successives, l'histoire s'emboîte à merveille, et monte en intensité diabolique. Les personnages sont d'une grande cruauté comme l'immonde Ganneval et le pathétique père de Horty (Armand Bluett), mais aussi profondément humains à l'instar de la touchante naine Zéna et du garçon Horty. Les pouvoirs psychiques jouent un rôle important, que ce soit à travers l'hypnose ou la télépathie. Quant aux cristaux, on ignore pratiquement tout de leur fonctionnement puisqu'ils sont totalement étrangers à la vie sur terre. En effet, il est fort probable qu'ils soient des extra-terrestres débarqués sur notre planète. Nous ne dévoilerons pas ici toutes les conséquences de leur utilisation, disons simplement qu'ils offrent une vie nouvelle, plus artistique. A noter que parmi les quelques références sur la musique, la peinture et la philosophie, l'auteur cite également l'excentrique Charles Fort, amateur de l'insolite et de l'étrange, dont nous vous recommandons son ouvrage "Talents insolites" qui vous fera porter un tout autre regard sur le monde. 


Pour ceux qui n'ont pas encore lu ce fabuleux roman, d'une grande richesse narrative et émotionnelle, vous pouvez l'acheter les yeux fermés. C'est de la science-fiction comme on l'aime, belle et intelligente.



dimanche 17 février 2013

La guerre des livres - Alain Grousset



Auteur : Alain Grousset (FRA)
Titre : La guerre des livres
Editions Folio junior
Parution : 2012 (2009 pour l'originale)


Ecrivain pour la jeunesse, Alain Grousset publie depuis plus d'une vingtaine d'années des romans de science-fiction et des nouvelles parues dans diverses revues. L'auteur aborde un sujet d'actualité avec la sauvegarde du livre en papier, à l'heure où le tout numérique nous envahit.


La BDM (Bibliothèque Du Monde) a été financée par un empereur, soucieux de préserver les livres physiques des planètes en guerre, car cet objet est en voie de disparition. Un jeune pilote de 17 ans se retrouve piégé sur une planète ennemie suite à l'attaque de son engin spatial. Il se dissimule dans un container qui est téléporté sur une autre planète. L'adolescent est pris sous son aile par le maître-conservateur de la bibliothèque, mais n'est pas dupe de l'origine du fugitif. C'est l'occasion de le familiariser avec les livres, un monde avec lequel il est totalement étranger, mais qui ne manque pas de le fasciner...

Cette course-poursuite se veut le côté divertissant de l'histoire, où règne l'action et les péripéties rocambolesques, et sert de cadre à quelques pistes de réflexion sur le monde du livre, afin de montrer aux jeunes générations l'importance de la conservation des livres papiers, qui ne peuvent se substituer entièrement aux livres numériques. Nous avons un rapport quasi sensuel avec l'objet, en touchant sa texture, on peut le sentir également, le feuilleter. 
Peut-être est-ce aussi une mise en garde sur le plaisir à outrance, véhiculées par les tablettes que l'on met entre les mains d'enfants de quatre ou cinq ans, où le jeu a une place primordiale, au détriment de la lecture en tant que telle, qui demande de la concentration, de la lenteur, de la répétition et du silence.
La place des anciens dans notre société diminue chaque jour un peu plus. A savoir que les personnes âgées, empreintes de sagesse et d'expérience que ne peuvent avoir les jeunes, sont dénigrées par ces derniers qui les considèrent pour des moins que rien, eux les vieux totalement dépassés par les nouvelles technologies. Grâce à Internet, ils pensent tout connaître puisqu'en un clic, ils peuvent avoir accès à pratiquement tout. Mais cette illusion du savoir joue un rôle néfaste sur leur mémoire individuelle et sur leur acquisition des connaissances. 
L'auteur fait par ailleurs un joli clin d'oeil à Borgès avec cette immense bibliothèque, infinie et labyrinthique.


"La guerre des livres" donne non seulement l'envie de lire des livres en papier, mais il met surtout en avant l'importance de la conservation du savoir sur des supports physiques à l'attention des générations futures, au risque de perdre une partie du patrimoine de l'humanité. Une lecture salutaire, en somme !





vendredi 1 février 2013

Sécheresse - James G. Ballard


Auteur : J.G. Ballard (ANG)
Titre : Sécheresse
Editions Folio s-f
Parution : 2011 (VO, 1964)


Sorti en 1964, le roman "Sécheresse" de James Graham Ballard fait parti du cycle apocalyptique débuté avec "Le monde englouti" et "Le vent de nulle part", tous deux publiés en 1962, qui se conclut en 1966 avec "La forêt de cristal".


La pollution engendrée par l'industrie humaine a abouti à une fine couche sur la surface des océans, empêchant l'évaporation de l'eau. Les fleuves s'assèchent peu à peu tandis que des dunes de sable et des colonnes de poussière prennent possession du terrain. Le docteur Ransom attend sereinement la fin du monde, cependant la raréfaction de l'eau le contraint à quitter sa péniche, accompagné d'une femme et d'un homme. Pour eux, le début de l'errance commence...

Si la majorité des gens tentent de gagner les côtes en raison de la pénurie d'eau, les trois personnes que nous suivont semblent résignées. Elles n'ont aucun sursaut devant la mort qui rôde, et ne sont pas plus résolues à prendre les armes dans une optique de guerre pour cette ressource vitale qu'est l'eau. Ce "déambulement" d'une profonde lenteur nous renvoie à la stagnation temporelle d'une part et d'autre part à leur comportement apathique, car ceux-ci ont accepté leur sort, et sont en paix avec leur "paysage intérieur". Ce manque évident d'action procure d'ailleurs quelques fois une source d'ennui pour le lecteur, mais la brièveté du roman ne le laisse pas s'installer.


Sans être un grand roman, "Sécheresse" mérite qu'on s'y arrête pour son côté prophétique, son approche  intéressante de la notion du temps, ainsi que pour l'appréhension divergente que peuvent avoir les humains face à un bouleversement climatique majeur. 

dimanche 27 janvier 2013

Mao II - Don Delillo



Auteur : Don Delillo (USA)
Titre : Mao II
Editions Babel
Parution : 2001 (VO, 1991)


Paru au début des années 90, le roman de Don Delillo évoque à la fois le terrorisme, des réflexions sur l'écriture, le mooniste de Sun Myung Moon, ou encore le maoïsme.


Dans un stade de New-York, se déroule des centaines de mariages forcés, sous l'oeil bienveillant de Sun Myung Moon, depuis la Corée. L'Eglise de l'Unification (considérée comme une secte) prône la substitution de l'individu au profit de la masse. Les hommes ont l'air heureux, privés de leur libre arbitre et de leur pensée. "Ils chantent, fortifiés par le sang des grands nombres. [...] Ils sentent la puissance de la voix humaine, la puissance d'un seul mot répété qui les enfonce davantage encore dans l'unité. [...] Ils chantent pour une vie nouvelle, pour la paix éternelle, pour la fin de la souffrance solitaire de l'âme."
Ailleurs, l'écrivain Bill Gray refuse de rendre à son éditeur son dernier roman. Il est angoissé par l'insatisfaction de son travail, par une réécriture constante au risque de dénaturer sa pensée première afin de retarder la publication, car après cette étape, son livre ne lui appartient plus. C'est au lecteur de se l'approprier, de le décoder ou non. Bill se rend au Liban pour apporter son aide à un otage. Delillo parle de l'influence des médias dans ce genre d'opérations, de l'impact qu'engendre le sensationnalisme et l'extraordinaire : "plus sombre est l'information, plus grandiose (est) le récit." Il décrit le quotidien d'un otage, qui doit tenter de se repérer dans le temps en fonction des rares repas qu'on daigne lui amener. Son sort (en partie) lié aux médias. Le roman s'attarde aussi sur le rythme d'une ville, Beyrouth, soumise aux bombes terroristes, et aux balles. C'est leur manière de trouver une place en ce monde s'exprimant à travers le prisme de l'Histoire, en employant la terreur : car à leurs yeux, "la terreur rend possible un nouvel avenir. L'histoire n'est pas le livre ni la mémoire humaine. Nous faisons l'histoire le matin, et la changeons après le déjeuner." 


"Mao II", s'il propose de belles réflexions sur des sujets pertinents et de société, n'atteint cependant pas l'ambition et la qualité littéraire de son roman "Les noms", mais peut se ranger aisément en compagnie du très poétique "Body art" ou du non moins recommandable "Cosmopolis". Don Delillo fait partie des grands écrivains contemporains américains dont il serait dommage de se priver.

Docteur Squelette - Serge Brussolo



Auteur : Serge Brussolo (FRA)
Titre : Docteur squelette
Editions Fleuve noir
Parution : 1987



Ecrivain ultra prolifique de plus de deux cents romans, Serge Brussolo campe un imaginaire le plus souvent terrifiant, articulé autour de la thématique du corps. Il est aussi auteur de nombreux polars. Cet excellent roman fantastique doté d'une impressionnante puissance évocatrice figure parmi ses plus belles réussites.


A San-Carmino, une petite ville sud-américaine assommée par la chaleur, les habitants sont atteints d'hébétude et de fortes difficultés à se concentrer. Depuis plusieurs décennies, une légende circule, celle de "La grande possession" : les membres de la secte du docteur squelette (un démon) doivent lui offrir en sacrifices des centaines de corps humains, chaque décennie, pour qu'il laisse les gens en paix. Ces immenses suppressions de vies sont maquillées sous des catastrophes naturelles ou des accidents tragiques.
Un exorciste aurait offert au docteur squelette mille queues et langues de chiens, afin de satisfaire son besoin de sang. On raconte que les personnes envoûtées se déchiraient de l'intérieur, car leurs os grandissaient et  leur peau finissait par se fissurer. D'où l'intervention de couseuses chargées de protéger et d'identifier les êtres ensorcelés par la créature, en leur insérant à même la peau des morceaux de cuir. 
Un couple d'étrangers se trouve confronté à la superstition et à la crainte des autochtones lorsque le tombeau d'un saint vient d'être profané, à plus forte raison lorsque l'homme se rendait régulièrement à l'église où eu lieu ce sacrilège. Tandis que la ville voit apparaître des hordes de somnambules, et que la famine exaspère tout le monde, le chaos pointe le bout de son nez...

Brussolo parvient admirablement à nous faire ressentir les choses. La sécheresse, l'atmosphère pesante, puis le basculement dans le fantastique avec de prodigieuses descriptions épouvantables qui relèvent à la fois de l'hallucination, du monde du rêve et du monde bien réel ou supposé tel car les personnes rescapées des événements ont des trous de mémoire ou pensaient faire un cauchemar. Pour les amateurs de modifications corporelles, nous vous recommandons du même auteur, "Les lutteurs immobiles", qui se révèle mémorable. 



Avec l'envoûtant et cauchemardesque "Docteur squelette", nous touchons à ce qui se fait de mieux chez cet auteur qui fourmille d'idées. D'ailleurs, on se demande encore pourquoi une telle oeuvre n'a pas encore été rééditée. A dévorer d'urgence !

vendredi 25 janvier 2013

Apocalypse culture - Adam Parfrey


Auteur : Adam Parfrey (USA) - sous sa direction
Titre : Apocalypse culture
Editions Camion noir
Publication : 2009 (VO, 1990)


"Le monde entier est cruel à l'intérieur, et cinglé en surface." (David Lynch)


Cette compilation dresse un portrait édifiant d'obsessions, de démences, de schizophrénies, d'hallucinations en tous genres qui témoignent de la "folie terminale du XXè s" comme le dit si joliment l'écrivain James Ballard. Qu'ils soient jouissifs ou carrément flippants, ces articles ne laisseront en aucun cas le lecteur indifférent. Préparez-vous pour un voyage aux confins de l'étrange.


"L'enfer, c'est à quel étage ?" Tel est le titre d'un roman du prolifique Serge Brussolo. On peut répondre aisément à cette question au regard de "Apocalypse culture" en disant : à tous les niveaux ! Car personne ne semble être à l'abri d'un basculement dans la folie ou d'une plongée hystérique de masse.
L'ouvrage est scindé en deux parties, la première aborde les théologies de l'Apocalypse et la seconde évoque la guerre invisible. Des interviews sont parfois intercalées entre deux articles. Parmi elles, on relève notamment celle de la nécrophile Karen Greenlee, pour le moins écoeurante ; une autre du terrifiant Peter Sotos qui revendique son adoration de la violence sexuelle extrême ; le psychopathe Frank qui ambitionne de tuer un maximum de personnes en une seule fois, ou encore le rockeur fou G.G. Allin qui défèque sur scène, mutile ses fans et rêve de supprimer son public. Ce qui s'avère paradoxal puisque sans lui, son show n'aurait pas grand intérêt. Quant au fakir Musafar, il parle de ses performances ainsi que du body art d'une manière générale.
Les articles quant à eux parlent de la lycanthropie, de l'auto-castration, du terrorisme esthétique, de l'eugénisme, des sociétés secrètes, de la bombe atomique, des apôtres de la mort, etc. Certains articles sont plus "distrayants" au milieu de ce tas d'immondices, comme par ex. l'aliénation des gosses par les boîtes de céréales (avec un cadeau à l'intérieur, bande de salauds !), l'obésité qui serait un vecteur favorable à la médiumnité (sans déconner ?), ou le dinguot Mel Lyman qui se prenait pour Dieu... et j'en passe.
Mon principal reproche en dehors du fait que ce soit trop court (il existe un second volume en VO), c'est une quantité impressionnante de coquilles, de mots qui sortent de nul part et qui par moments vous mettent les nerfs. A plus forte raison vu le prix de l'ouvrage. Il faut hélas s'en accommoder. 


Saluons donc l'excellente initiative des éditions Camion noir qui ont osé publier ce livre atypique, certes totalement effrayant, mais qui vous procure un plaisir de lecture intense. Subversif, choquant et provoquant, "Apocalypse culture" marque indéniablement les esprits. C'est un euphémisme que de dire que l'on attend un (hypothétique ?) tome 2 avec grand intérêt.





lundi 21 janvier 2013

Fakir Musafar - Spirit + Flesh



Auteur : Fakir Musafar (USA)
Titre : Spirit + Flesh (inédit)
Editions Arena
Parution : 2004


Né en 1930 dans le Dakota du Sud, Roland Loomis, alias Fakir Musafar, est un des personnages phares du body art. Il est considéré comme le père du mouvement primitif moderne. A ses yeux, toute personne  pouvant s'identifier à ce mouvement se caractérise comme quelqu'un de "non tribal qui répond à des besoins primaires liés au corps". Ce bel album présente brièvement le parcours de l'artiste, avant de proposer la succession d'une bonne centaine de photographies en format A4, noir et blanc, très esthétiques. 


Adolescent, Roland Loomis se documente beaucoup sur les modifications corporelles. Il s'intéresse particulièrement aux pratiques d'ornementation des sociétés traditionnelles. La danse du soleil pratiquée par des tribus indiennes d'Amérique du Nord titille sa curiosité. Ce rituel religieux en l'honneur du bison consiste en des chants et des danses puisqu'il symbolise la vie. Les valeureux guerriers font le sacrifice de leur corps, en pratiquant des incisions dans leur poitrine afin d'y passer des broches en bois, elles-mêmes reliées à un poteau par des lanières en cuir. Cet acte signifie une purification du corps en symbiose avec l'esprit sacré. 
L'autre influence de ses jeunes années sont les sadhus, des saints hindous qui renoncent à la société et à leur vie familiale pour se consacrer à la moksha, c'est-à-dire la libération finale de l'âme individuelle (qui équivaut au nirvana bouddhique). Ces hommes se font des mortifications, notamment  physiques pour progresser dans le domaine spirituel. 
Fakir Musafar commence vers quinze ans des expériences comme le tightlacing (se mettre un corset afin de diminuer la taille sur plusieurs jours), des piercings ou encore s'enrouler le corps de chaînes métalliques afin de connaître de nouvelles sensations. 
Toujours anonyme sous son nom de scène, les années 70 lui offrent une ouverture via la révolution sexuelle et la libération du mouvement gay. Il entre à cette époque en contact avec un millionnaire excentrique qui le paye, l'incitant à poursuivre son activité. Il s'entoure d'autres artistes comme lui. Il passe à la reconnaissance auprès du grand public dans les années 90, en participant à des émissions de télévision, et continue encore aujourd'hui à faire des performances dans le monde.
Les nombreuses photos sont des performances de Musafar himself, ainsi que la participation d'une dizaine d'autres artistes : on trouve toutes sortes de pratiques de modifications corporelles allant du tightlacing au bondage en passant par des suspensions, des scarifications ou des piercings. Certaines images sont difficiles à soutenir. Par ex. le cloutage d'un pénis sur une planche de bois ; un artiste reposant nu sur des lames ; des suspensions via des crochets métalliques qui transpercent les seins...
Fakir Musafar considère ses performances telles des expériences transcendantales. Il qualifie sa pratique de "Body play" car il utilise son corps pour atteindre un état de conscience supérieur. Il encourage les métamorphoses corporelles car à ses yeux, il s'agit de capter la spécificité naturelle de la vie au regard de l'expression du corps humain.
D'autres artistes célèbres ont oeuvré dans le domaine de l'art corporel. Citons notamment Stelarc, Bob Flanagan, Gina Pane, Orlan, Michel Journiac ou encore Chris Burden.


"Spirit + Flesh" est un album dérangeant, intrigant et  provocateur, dont la beauté peut parfois atteindre son apothéose dans ce qu'elle a de plus horrifique. Saisir la démarche intellectuelle et/ou artistique des performeurs permet de mieux appréhender cet art extrême, qui nous montre également l'impressionnant potentiel du corps humain, jusqu'au boutisme. 

vendredi 18 janvier 2013

L'actionnisme viennois et les autrichiens - Danièle Roussel



Auteur : Danièle Roussel (FRA)
Titre : L'actionnisme viennois et les autrichiens
Editions Presses du réel
Parution : 2008 (première publication 1995)


Regroupant une trentaine d'entretiens menés au début des années 90 auprès d'artistes, d'écrivains et d'hommes politiques, ce document sur un mouvement artistique qui fit sensation dans les années 60 - l'actionnisme viennois - nous donne un aperçu de la manière dont a été appréhendé ces performances d'un point de vue interne (via les interviews des trois membres les plus influents) et externe.


L'actionnisme viennois naquit en 1960. Pour comprendre sa profonde brutalité et son radicalisme, il est nécessaire de le replacer dans le prolongement de la seconde guerre mondiale. En effet, dès 1938 à l'arrivée d'Hitler aux portes de Vienne, l'Eglise (ou une partie du moins) offrit sa bénédiction au Führer par la voix du cardinal Innitzer, pour qui il s'agissait de la Providence. La grande majorité de l'élite intellectuelle et artistique fut torturée, chassée, massacrée. Un nombre considérable de juifs, éliminés. Or, beaucoup de gardiens de camps de concentration étaient des autrichiens. Malgré cela, l'Autriche fut dédouanée de ses responsabilités à l'égard du nazisme. Après 1945, Vienne devint, comme le souligne l'écrivain Peter Turrini, "une maison de sucre, un conte de fée bidon, et il fallait profaner ce conte, avec de la merde et de l'urine." Le comble fut sans doute atteint en matière de mensonge ignoble en 1955 avec la signature par les Alliés du "contrat d'Etat", désignant l'Autriche comme une victime du nazisme. S'en était trop.
En 1960 donc, une poignée d'artistes se révoltèrent devant la puanteur des cadavres, ainsi que le vide culturel laissé par la guerre. Ils vont alors "dépecer, lacérer, faire exploser, autopsier cette image du monde capable de tels crimes, au nom de l'humanité, de la religion et de l'esthétique." Tous les tabous ont été rompus, heurtant un public médusé. 
Leurs actions firent scandale par leurs aspects choquants et leur radicalité. Des spectateurs y voyaient un culte satanique. Les trois membres clés du mouvement artistique, à savoir Otto Muehl, Hermann Nitsch et Gunter Brus, reçurent de nombreuses menaces de morts et furent victimes de harcèlement téléphonique. Otto Muehl fut même incarcéré à plusieurs reprises.
Venons-en à présent aux influences de l'actionnisme viennois. Selon les artistes du groupe, on retrouvait l'expressionnisme abstrait, l'art informel américain, le tachisme, le symbolisme français, entre autres. Ils s'inspiraient de peintres tels Egon Schiele, Klimt, Kokoschka ; des psychanalystes Freud et Jung ; des musiciens Schonberg et Berg, ainsi que des écrivains comme Trakl, Musil, Kraus et Weininger. 
Avant de faire leurs performances, chacun apportait une grande importance à la théorisation. Cet art charnel et sensuel consistait à repousser les limites personnelles pour une meilleure connaissance de soi : faire émerger les zones refoulées. Dès lors, dépecer des animaux, se masturber, uriner, déféquer en public, verser son propre sang ou celui d'animaux sur d'autres corps faisant parti du "spectacle". 
Le mouvement ne perdura pas puisque chaque nouveau prétendant se voyait rejeté. D'ailleurs le trio se disputait régulièrement en raison de désaccord et d'une concurrence entre eux. La célébrité et la couverture médiatique n'atténuèrent pas les tensions, ceux-ci restant sous cette entité par des convictions similaires. A noter qu'un quatrième membre, un peu à part car très réservé et n'ayant fait essentiellement que des actions privées, était un peu à part, bien que proche du mouvement. Il se nommait Rudolf Schwarzkogler et se suicida en 1969.
Les divers entretiens auprès de personnalités éclectiques offrent une belle approche de ce mouvement extrême, cependant on regrette le si faible nombre d'illustrations, et aussi l'absence des descriptions de leurs "actions" les plus mémorables. Toutefois, ce manque n'enlève rien à l'importance de ce livre.


Mouvement artistique parmi les plus choquants (et des plus courts) du XXè, l'actionnisme viennois marqua durablement les esprits de l'époque, et  ne devrait pas laisser indifférent ceux qui le découvrent aujourd'hui. Un livre précieux au regard de l'analyse qu'en ont apporté les acteurs et les spectateurs, dans ces enquêtes par entretiens. Dérangeant et fascinant !














dimanche 13 janvier 2013

Le formidable événement - Maurice Leblanc



Auteur : Maurice Leblanc (FRA)
Titre : Le formidable événement
Editions Folio s-f
Parution : 2013 (première publication, 1921)


Surtout connu pour les célèbres aventures d'Arsène Lupin, Maurice Leblanc écrivit aussi quelques textes d'anticipation. Ce récit post-apocalyptique des années 20 a un intérêt historique certain, toutefois le lecteur d'aujourd'hui parviendra difficilement à s'en contenter.


Pour conquérir la belle Isabel, Simon Dubosc doit réaliser une énorme prouesse. Telle est la volonté de sa promise. D'autant plus que le père d'Isabel est un lord qui ne voit pas d'un bon oeil cette union. 
Des événements troublants ont lieu dans la Manche, durant les traversées des bateaux entre la France et l'Angleterre. En effet, un nombre anormalement élevé de naufrages sont signalés. Simon et Isabel réchappent de justesse à celui de leur bateau, qui provoque la mort de centaines de passagers.
De retour sur le rivage, ils sont confrontés à des tremblements de terre et  une tempête qui sèment la panique. Car une énorme bande de terre vient d'émerger, créant un passage étroit entre les deux nations. Ce cataclysme entraîne l'apparition de nombreux truands qui pillent les bateaux échoués, volent les survivants sans défense, et les cadavres.
Lorsque Isabel se fait kidnapper par des voyous, Simon part en chasse afin de la délivrer...

Si la première partie s'oriente clairement vers la science-fiction via ce terrible cataclysme, la seconde moitié fait la part belle aux aventures, qui sonnent très western avec les poursuites à cheval, la  recherche d'un gisement d'or, ainsi que la présence improbable d'indiens. On se demande encore comment ils ont atterri en cet endroit. La violence se manifeste de manière incisive avec de nombreuses hordes sauvages qui propagent un climat de terreur sur leur passage. Le fil conducteur du roman, d'un intérêt assez quelconque, consiste en cette quête amoureuse, qui aboutit sur une solution un peu paradoxale.


"Le formidable événement" tient une place de choix dans la science-fiction de l'entre deux-guerres. Cependant, en dépit d'un indéniable intérêt historique, on referme le livre avec une certaine déception. Non que le récit soit déplaisant, mais plutôt le fait d'avoir lu une oeuvre mineure de l'auteur, un peu trop tirée par les cheveux. A moins d'être un inconditionnel de Maurice Leblanc, je vous suggère donc de passer votre chemin.

vendredi 11 janvier 2013

Le demi-monde, hiver - Rod Rees




Auteur : Rod Rees (ANG)
Titre : Le demi-monde, hiver
Editions Nouveaux millénaires
Parution : 2012 (VO, 2011)



Premier roman de l'anglais Rod Rees, "Hiver" est le premier tome du Demi-monde, un cycle qui en comprendra logiquement quatre. L'auteur nous plonge dans un monde virtuel d'une grande crédibilité, destiné à entraîner les soldats américains aux combats de guérilla extrême. Comme si cela ne suffisait pas, les concepteurs du jeu ont recréé sous forme de cyberdouble, vingt des plus grands salopards de l'Histoire : Heydrich, Chaka, Beria, Robespierre, Aleister Crowley, entre autres. Pour foutre le bordel là au milieu, c'est une bonne initiative... sauf qu'ils n'ont pas prévu que le programme prendrait son indépendance, et évoluerait de façon anarchique. Bienvenue en enfer !


Le Demi-Monde : conçu par un immense simulateur informatique nommé ABBA, il se divise en cinq secteurs. Ces secteurs sont organisés de façon à ce que les populations qui se juxtaposent ne puissent pas se sentir, afin de semer le chaos. Si l'on ajoute à cela une surpopulation volontaire, on imagine aisément que cela pète de tous les côtés. 
De plus, par un incroyable tour de passe passe, l'immense et terrifiant magicien occulte Aleister Crowley a réussi à kidnapper une personne extérieure au Demi-Monde. La victime n'a pas été choisit au hasard puisqu'il s'agit de Norma, la fille du président des Etats-Unis. Ainsi, le jeu ne peut être simplement détruit ou stoppé car cela ferait de Norma une Captive, c'est-à-dire une personne issue du monde réel, prisonnière du jeu, dont l'esprit se perdrait dans le cyberespace. Dix-sept soldats sont également pris au piège. Plus grave encore, les entités numériques ont verrouillés les entrées dans le jeu et les sorties. Il  ne reste plus qu'une porte de secours à l'intérieur du Demi-Monde pour s'en évader. Telle va être la mission de Ella, une jeune métisse qui a toutes les qualités requises nécessaires au sauvetage de Norma. Elle s'immense dans l'univers virtuel dans le "corps" du seul cyberdouble vacant. Pour elle, c'est le début de sérieuses emmerdes...


Rod Rees démarre sur les chapeaux de roue ce cycle qui s'annonce sous les meilleures augures. Via une plume assez élégante qui n'hésite pas à manier l'humour, on tourne les pages avec beaucoup de plaisir en suivant les vicissitudes des personnages. Cet univers virtuel complexe est d'une grande richesse, truffé de détails qui crédibilisent le Demi-monde, même si réunir les pires crapules en un même espace-temps laisse un peu perplexe. Mais là n'est pas l'essentiel. C'est avant tout les perspectives qui se dévoilent qui font froid dans le dos. Le demi-Monde renvoie inévitablement aux auteurs cyberpunk, à l'instar de William Gibson, Bruce Sterling, Neal Stephenson, Effinger, entre autres. Cette immersion dans une réalité virtuelle fait aussi penser à l'excellent roman de Christopher Priest, "Les extrêmes", dans lequel une femme agent du FBI traumatisé par la mort de son mari, s'immerge dans un logiciel pour "revivre" la scène du crime dans la peau du tueur et des victimes. En plus de la science-fiction, la dimension ésotérique parsème le récit. En premier lieu on note la présence du puissant magicien Aleister Crowley, à l'insondable esprit. C'est lui la principale arme du Demi-monde. Les rituels sont évoqués tels le Sacrifice du sang ainsi que le diabolique Rite du transfert. Les médiums ne sont pas en reste non plus avec Ella (la recrue sensée sauver la fille du président) qui devient l'assistante d'un médium charlatan en fuite. En lisant les scènes de séance de spiritisme, on songe au polar ésotérico-fantastique, "La fille dans le verre" de Jeffrey Ford, d'excellente facture. Enfin, certains dirigeants consultent le Yi King pour les aider à la prise de décisions. 
Pour les points négatifs, je n'ai pas grand chose à reprocher à l'auteur, si ce n'est quelques rebondissements étranges ou loufoques (une fuite en ballon qui n'est pas sans rappeler "L'île mystérieuse" de Jules Verne ; ou l'invraisemblable transformation de Trixie, jeune demoiselle bien propre sur elle qui devient une formidable meneuse de guerre). 


Ce roman audacieux et bouillonnant se dévore, en un savoureux mélange d'influences multiples, qui laisse la part belle au divertissement. On attend la suite avec impatience, annoncée pour le mois d'octobre. A n'en pas douter, Rod Rees est une révélation pour cette année, qu'on se le dise !