lundi 30 juillet 2012

Les déportés du Cambrien - Robert Silverberg


Auteur : Robert Silverberg (USA)
Titre : Les déportés du Cambrien
Edition Le livre de poche
Parution : 2002 (VO, 1968)


Tout amateur de science-fiction se doit d'avoir lu au moins un roman de l'américain Silverberg. C'est un des grands maîtres du genre qui publia de manière prolifique. Ses oeuvres les plus réputées sont notamment "Les monades urbaines" ; "L'homme dans le labyrinthe" ; "L'oreille interne" ; "Les ailes de la nuit" ou "Le livre des crânes".

"Les déportés du Cambrien" traite d'une nouvelle forme de condamnation carcérale : à savoir, un aller sans retour possible un milliard d'années dans le passé, au début du paléozoïque. Le gouvernement épargne les détenus (dans une moindre mesure) en ne les envoyant pas à l'époque des dinosaures, leurs offrant une chance de survie, mais dans quelles conditions ? En effet, quel sens donner à ce type d'existence ?
Ces hommes sont environ 140, regroupés dans une station nommée Hawkbill. Il s'agit des détenus les plus coriaces opposés au système politique américain en place. Autant de nihilistes, bolcheviques, anarchistes, et rebelles considérés comme incurables. Afin de préserver l'humanité, la société a préféré les en écarter de manière définitive. L'auteur opère fréquemment des flashbacks à propos des personnages principaux, nous indiquant le pourquoi de leur condamnation. Les humains de "Là-bas" (ceux du présent) leurs font parvenir tout le nécessaire en matériel, marchandises, médicaments, via le transmetteur temporel.

Cette condamnation terrible implique de profondes perturbations psychologiques. Beaucoup ont sombré dans la folie. Quelques-uns sont à moitié siphonnés. Les déportés tentent pourtant de maintenir une forme de cohésion sociale, de trouver des activités car "l"oisiveté engendre la paresse... et la folie". Privés de repères sociaux et de relations sexuelles puisqu'aucune femme n'a été condamnée, ce contexte pose la question de savoir si l'homme peut survivre en leur double absence. N'est-il pas plus "raisonnable" de se suicider ? Chacun des détenus se raccroche à ce qu'il peut, dans sa routine quotidienne, car vivre sans perspective, sans espoir, pèse énormément sur leur conscience.
Silverberg ne pousse pas la réflexion au maximum mais apporte néanmoins quelques éléments de réponses. On peut s'interroger notamment sur l'altération de l'écoulement "normal" du temps qui aura sans doute une incidence étant donné que ces hommes envoyés dans un lointain passé peuvent potentiellement le changer, et par conséquent modifier le futur...

Nous vous recommandons ce roman de bonne facture, à l'écriture soignée et limpide, datant de la fin des années 60. Il  mélange habilement le voyage dans le temps et une critique des dérives politiques, tout comme  la capacité d'adaptation de l'être humain dans un monde qui lui est étranger.

dimanche 15 juillet 2012

Monstres invisibles - Chuck Palahniuk


Auteur : Chuck Palahniuk (USA)
Titre : Monstres invisibles
Réédition Folio policier : 2007 (VO, 1999)


Initialement, "Monstres invisibles" est le premier roman écrit par Palahniuk, mais seulement le troisième publié. En effet, les éditeurs le trouvaient trop provoquant. Ceci n'empêcha pas l'auteur d'en remettre une couche avec "Fight club" qui connu un succès mondial, accentué par le film culte qu'en a tiré David Fincher.
Un auteur était né.

Palahniuk a depuis connu une période ascendante avec les romans tels que "Survivant", "Berceuse", "Peste" ou "Choke", cependant sa production semble déclinée depuis 2008 avec la publication du très controversé et sulfureux "Snuff". Faut-il y voir une panne d'inspiration lorsque celui-ci ressort en 2012 une version augmentée et retravaillée de "Monstres invisibles" ? Nul doute que son prochain roman devra proposer quelque chose d'autre, au risque de perdre ses derniers admirateurs.

Mais revenons à nos moutons. Le roman s'ouvre sur une scène très théâtrale et sanguinaire, sur fond de vengeance, où l'on découvrira en fin d'ouvrage comment on en est arrivé là. Deux amies - Evie et Shannon - sont des mannequins publicitaires (du mobilier sexuel). Elles sont belles et ont une vie aisée. La vie de Shannon bascule lorsqu'elle est victime d'un accident de la route, touchée par une balle perdue. Elle ne peut pratiquement plus s'alimenter et doit communiquer avec un bloc notes car personne n'y comprend rien. Les dialogues (plus précisément leur absence intelligible) avec son orthophoniste sont d'ailleurs hilarants. Son amie Evie en profite pour piquer ses fringues... et son petit copain. Puisque, de toute façon, pour Shannon, sa vie est grillée, avec une telle tronche mutilée.
Palahniuk utilise une narration non linéaire, ce qui conduit à de nombreux passages pré-accident. Shannon avait un frère homosexuel, qui est décédé du sida. Depuis ses parents sont devenus totalement parano vis-à-vis du sexe, et allons jusqu'à dire qu'ils sont complètement siphonnés. Offrir pour Noël plusieurs boîtes de préservatif à son enfant et faire une énumération de toutes les MST, cela met dans l'ambiance. A force, elle en à plein le cul d'entendre parler de son frangin décédé qui prend une place plus importante qu'elle, pourtant bien vivante. C'est vrai quoi, merde !
Après son accident, elle fait la connaissance d'une transsexuelle, Brandy, avec laquelle elle tente de se reconstruire...

Sans doute "Monstres invisibles" n'est pas le meilleur de l'auteur. Sa plume fait néanmoins mouche. On trouve déjà le côté déjanté et provocateur, ainsi qu'une critique satirique de la société américaine qui imprègne la suite de son oeuvre. Alors ne faisons pas la fine bouge et recommandons cet opus, car du Palahniuk n'en demeure pas moins du Palahniuk. En un mot, c'est : jouissif !

samedi 7 juillet 2012

Talents insolites - Charles Fort




Auteur : Charles Fort (USA)
Titre : Talents insolites
Editions Joey Cornu
Parution : 2011 (VO, 1932 à titre posthume)


L’écrivain américain Charles Fort (1874-1932) est un personnage profondément atypique. Il passe sa vie à collectionner des données étranges, le plus souvent rejetées par la communauté scientifique officielle. Découpant et classant inlassablement plus de 40000 notes tirées de journaux, périodiques et publications scientifiques, il constitue une sorte d’encyclopédie des phénomènes extraordinaires.

La parution en 1919 de son livre le plus célèbre, « Le livre des damnés », provoque immédiatement la controverse. Certains l’accusent d’être un dégénéré, un fou. Pour répondre à ses détracteurs, Fort réplique avec ironie : « D’accord, j’échouerais à un examen psychiatrique… tout comme un psychiatre probablement ». Son œuvre optient un grand succès dans le monde anglo-saxon, avec la création du mouvement fortéen en 1931 afin de poursuivre les travaux du maître. Cette reconnaissance ne parviendra pas jusque dans nos contrées.
C’est par l’intermédiaire de Jacques Bergier (pour qui mon admiration ne cesse de croître) et de Pauwels que j’ai découvert cet étonnant individu, dans le cultissime « Matin des magiciens », puis par certaines œuvres de Bergier publiées dans la collection « Aventure mystérieuse » aux éditions J’ai lu : « Les livres maudits » ; « Visa pour une autre Terre » ou « Les Maîtres secrets du temps » sont particulièrement croustillantes.
Bergier et Pauwels réussirent à faire découvrir Charles Fort dans les années 60-70 mais il reste aujourd’hui encore injustement méconnu.
Charles Fort tente d’établir des liens, de trouver des traits communs entre des faits disparates. Il va au-delà des bâclages d’enquêtes policières ou des explications scientifiques plus commodes, et se questionne tout en invitant ses lecteurs à en faire de même en ayant une vision plus large de notre monde. « Me revoilà à me poser de sottes questions, qui sont peut-être sensées ». Selon lui, dans chaque récit se dissimule un soupçon de réel, qu’il nomme la « réalité-fiction ». Cependant il n’oublie pas de prendre du recul avec ses travaux en donnant des explications fantaisistes ou ironiques. Restant constamment sur ses gardes, sa tonalité se veut délibérément sceptique. En briseur de tabous, il affirme que "nier, ridiculiser ou tenter de balayer sous le tapis les données [qu'il] défend dans ce livre, c'est assurément utile, car l'acceptation même sommaire de ce cortège infâme aurait de quoi perturber la société." Charles Fort précise par ailleurs sa démarche : « Je n’écris pas sur le merveilleux. Le surnaturel, le prodigieux et l’inédit, je le laisse aux fantaisistes, aux radicaux et autres compagnons. Tous les livres sur lesquels je m’applique contiennent des faits plutôt ordinaires ». Fait intéressant, c’est justement son côté fantaisiste qu’on lui reproche.
Dans « Talents insolites » Charles Fort évoque une trentaine d’incendies de manoirs en dix mois inexpliqués ; des appendicites successives de gardiens de prison ; des agressions suspectes ; des cas de vampirisme ; un pensionnat anglais dans lequel 45 filles se sont évanouies en cinq jours dont la seule explication viable trouvée fut la psychose collective, un condamné à la pendaison impossible à pendre ; des cas d'auto-combustion spontanée, et ainsi de suite.
Saluons l’heureuse entreprise des éditions Joey Cornu qui ont eu la lumineuse idée de rééditer les trois livres majeurs de Charles Fort, « Nouvelles terres » venant s’ajouter aux deux autres.

Charles Fort interpelle, intrigue et fascine avec ses récits abracadabrantesques et sensationnels. Ce provocateur, véritable ennemi de la science, mériterait d’être enfin connu auprès du public, friand de faits insolites et curieux. Car sa recette a tout pour séduire le plus grand nombre.