lundi 11 juin 2012

Fahrenheit 451 - Ray Bradbury


Auteur : Ray Bradbury (USA)
Titre : Fahrenheit 451
Editions Folio s-f
Parution : 2000 (VO, 1953)


Célèbre pour deux livres incontournables, "Les chroniques martiennes" écrit dans les années 40, puis avec "Fahrenheit 451" publié en 1953, l'américain Ray Bradbury reçut le prix Hugo du meilleur roman de science-fiction pour ce dernier en 1954.

"Il y avait des tas de jolis livres autrefois, avant que nous les laissions disparaître."

Aux Etats-Unis, l'objet-livre est interdit, car aux yeux du gouvernement, il menace l'ordre établit. La plupart du temps, ce sont les voisins qui pratiquent la délation. Les pompiers sont ainsi appelés, non pour éteindre un feu (quelle idée !) mais plutôt pour brûler au pétrole. Brûler les livres sacrilèges, brûler la maison les abritant, brûler le propriétaire de ceux-ci si il ne veut pas quitter les lieux. Montag, 30 ans, fait partie de cette brigade depuis dix ans. Il fait la rencontre d'une jeune femme, Clarisse McClellan, âgée de 17 ans. Elle respire le bonheur, a une curiosité débordante, adore sentir les parfums de la nature, errer dans les rues, et prendre le temps d'observer. A l'école, on la considère comme une antisociale. Mais c'est surtout parce que son cas interpelle. Elle cherche à savoir le "pourquoi" des choses", tandis qu'on lui bourre le crâne avec du "comment". Le gouvernement la suivait de près, ainsi que sa famille, et un beau jour, elle est ni plus ni moins qu'éliminée par l'Etat, sans autre forme de procès. Clarisse était très apprécié par Montag car elle lui faisait voir le monde autrement, l'amenait à se poser des questions (choses que les gens lobotomisés ne font plus). Est-il réellement heureux ? Sa femme, qui se blinde de somnifères chaque soir, ne cherche-t-elle pas à se suicider inconsciemment ? Plus tard, il montre à sa femme une vingtaine de livres qu'il avait soigneusement dissimulé à son domicile, provoquant la panique de son épouse. Car rien n'échappe au gouvernement et au limier-robot doté d'un odorat surpuissant...

"Vous êtes restée des années enfermée ici, en compagnie d'une fichue tour de Babel. Secouez-vous donc ! Les gens qui sont dans ces bouquins n'ont jamais existé."


Fahrenheit 451, c'est d'abord la température à partir de laquelle le papier s'enflamme et se consume. Dans cette société dystopique, l'autodafé est un acte intégré par la majorité de la population. Rien ne doit nuire au bonheur des gens. C'est pourquoi seules les bandes dessinées, les revues érotiques et économiques sont diffusées. En effet, l'enseignement scolaire a balayé la philosophie, la sociologie, l'histoire et l'apprentissage des langues étrangères. L'anglais et l'orthographe sont tout justes survolés. Pourquoi s'ennuyer avec ça alors que les étudiants sont destinés à devenir de la main-d'oeuvre et en aucun cas des intellectuels ?
La disparition des livres serait due à la culture de masse, en nivelant par le bas la pratique de la lecture, auparavant réservée à l'élite. L'écrivain Alexander Pope, cité dans le roman, est l'auteur d'un long poème satirique qui illustre assez bien cette idée : il s'agit de "La Dunciade, ou guerre de sots" (1728) dans lequel les agents de la déesse de la bêtise répandent la décadence, l’imbécillité et l'absence de goûts.
Les sujets qui prêtent à discussion, réflexion, voire réprobation comme la politique et la guerre sont soigneusement évités, les informations arrivants fort détournées. Un exemple frappant est celui des élections politiques qui s'apparentent à une blague lorsque le rival du candidat en place dispose d'un physique ingrat et baragouine un verbiage incompréhensible. La République en prend pour son grade. La population n'oppose quant-à-elle guère de résistance, endoctrinée et abrutie par des murs-écrans à domicile qui martèlent des slogans publicitaires et des émissions décérébrées.
La communication se réduit à peau de chagrin. Les gens ne parlent pratiquement pas entre eux. En effet, Clarisse s'amusait à écouter les conversations dans le métro et s'étonnait auprès de Montag qu'ils ne disaient rien. De plus, Montag et sa femme ne se rappellent même plus les circonstances de leur rencontre, et n'expriment pas leurs sentiments l'un pour l'autre. Les jeunes s'expriment par communication non verbale par ultra-violence allant parfois jusqu'au meurtre.
Bradbury entrouvre cependant une lueur d'espoir en pensant q'une telle situation ne puisse durer éternellement : "c'est ce que l'homme a de merveilleux ; il ne se laisse jamais gagner par le découragement ou le dégoût au point de renoncer à se remettre au travail, car il sait très bien que c'est important et que ça en vaut vraiment la peine".

Ce prodigieux livre amène à réfléchir sur notre société, à penser par soi-même, à être curieux, à imaginer, à réfléchir sur ce qui nous entoure... et bien entendu à lire. Comme l'a si bien dit l'un de mes enseignants de la faculté : "Lisez ! Lisez ! Cela vous évitera de vous faire enculer !" Pas mieux.

dimanche 10 juin 2012

Les âges sombres - Karen Maitland

Auteur : Karen Maitland (ANG)
Titre : Les âges sombres
Editions Sonatine
Parution : 2012 (VO, 2009)

Comparée à Umberto Eco et Iain Pears, les romans de l'anglaise Karen Maitland ont globalement reçus un bon accueil, tant critique que public. Ce second livre poursuit dans la lignée du premier (cf La compagnie des menteurs) en situant son intrigue au Moyen-Âge. Nous verrons que le résultat ne sera pas si probant qu'escompté.

Dans le courant des années 1920, un petit village du nom de Ulewic, dans l'est de l'Angleterre, va voir sa vie quotidienne basculer, entre superstitions, sorcellerie et doutes religieux. Car bien avant la construction du village, on vénérait sur les collines avoisinantes, de puissantes forces anciennes, que rien (y compris la religion) ne pouvait endiguer. Un étrange et mystérieux groupe - Les Maîtres Huants - possède des pouvoirs sur les animaux et sur les hommes. Ces individus peuvent aussi se déplacer dans l'obscurité totale. Ils portent des masques de chouette. Pour signaler à une personne sa mort prochaine, ils déposent devant la porte du condamné une chouette morte. Tandis que la lèpre frappe, la peste noire s'ajoute aux malheurs du village : l'intégralité des vaches, moutons et cochons sont abattus. Les béguines, religieuses qui vivent en communauté mais n'ayant pas prononcées de voeux perpétuels (contrairement aux monastères) sont de plus en plus mal vues par la communauté de Ulewic. Ailleurs, les Maîtres Huants ont volé le cadavre d'un enfant de cinq ans, aux dires de la vieille sorcière, quelques jours après son enterrement. Probablement pour l'utiliser lors d'un rituel maléfique...

Le roman, très documenté sur cette période historique, nous plonge admirablement dans le contexte du Moyen-Âge. Elle décrit les habitations, la pharmacopée, les croyances (par ex. l'organisation des béguines : guérisseuse, servante, etc.), les maladies (la peste et la lèpre), avec sobriété et sans accumulations inutiles de détails. Le fantastique s'immisce aussi à travers deux créatures fantastiques : la première est "Anu la Noire", une chimère mi-femme - mi-chèvre ; la seconde est "l'Owlman", un hybride homme-oiseau qui dévore les hommes et le bétail, puis que n'apparaissant que rarement. L'auteure parvient par moments à des fulgurances stylistiques, nous happant dans l'ambiance lugubre et ténébreuse. On lui reprochera cependant plusieurs choses. En premier lieu, chaque paragraphe correspond à un personnage (il y en a au moins cinq), ce qui fait que l'on se demande ce qu'il s'était passé des dizaines de pages auparavant avec le personnage en question. L'intensité ne tient pas en longueur, elle s'étiole nous rendant parfois indifférent au propos, ce qui est un poil problématique. De plus, Maitland distille par petites touches des éléments qui font que le lecteur sait que quelque chose de malsain, sous-jacent, végète, et finira tôt ou tard par éclater, cependant l'élan du récit se heurte encore une fois à cette lenteur de l'action. Les explications autour de l'animal surnaturel, L'Owlman, sont très pauvres. Vous l'aurez compris, ce roman nous laisse donc un goût d'inachevé, pêchant essentiellement par son manque de tonus.

Une fois n'est pas coutume aux éditions Sonatine, "Les âges sombres" déçoit quelque peu. On leur pardonnera cette fausse note, eu égard à leur catalogue qui fait beaucoup d'envieux (et de jaloux), chez les concurrents. Toutefois, il n'est pas exclu que les adeptes des ambiances moyennes-âgeuses y trouvent néanmoins leur compte...