dimanche 5 février 2012

Karoo - Steve Tesich

Auteur : Steve Tesich (USA)
Titre : Karoo
Editions Toussaint Louverture
Parution : 2012 [VO, 1998 - à titre posthume]


D'origine serbe, Steve Tesich immigra avec sa famille en 1957 à destination des Etats-Unis. Il a écrit deux romans, le premier, "Rencontre d'été", en 1982, et le second, "Karoo", en 1996 (année où il décède).


Saul Karoo, le personnage central du livre, bosse dans l'industrie du cinéma hollywoodien. Il réécrit et peaufine les scénarios. Pour cela, c'est un maître. Dans le milieu, on l'appelle le "Doc" (il a un doctorat en littérature comparée). En dehors de ça, sa vie n'a rien de bien valorisant. Du haut de sa cinquantaine, il trimbale son quintal, et son état de santé se dégrade. Malheureusement, seuls ceux de son entourage semblent le remarquer. Il fume comme un pompier et boit comme un trou. Cependant, par une probable intervention divine (?) Karoo peut picoler à volonté, car à aucun moment il ne sera ivre. Le revers de la médaille signifie que ses soucis ne seront jamais noyés dans l'alcool. Karoo n'a, par ailleurs, plus d'assurance maladie, au grand désespoir de sa future ex-femme, qui assiste à sa lente et inexorable déchéance.
Karoo a un fils adoptif, avec lequel il entretient une relation complexe.  Ceux-ci se parlent très peu. Généralement en public. Tout simplement parce que Karoo ne se sent pas à l'aise dans la sphère intime avec les autres.
Par hasard, le scénariste reconnaît la voix de la mère biologique de son fils adoptif (Billy). Il décide d'entrer en contact puis d'élargir cette relation au côté de Billy, afin de réparer les morceaux de sa désastreuse vie...


Avec "Karoo", on a le sentiment que quoi que le personnage fasse (en dehors de son indéniable talent pour la réécriture), c'est d'avance voué à l'échec. Par exemple, le fiasco avec sa future ex-femme qui le lamine au restaurant, Karoo ne bronchant pas, préférant rire de lui-même, ou le fait qu'il n'ait plus qu'un seul ami puisqu'il se sent atteint de la maladie de l'observateur : "Toutes mes relations avec les gens étaient devenues des spectacles publics". Saul tisse sa vie de mensonges, telle une toile pour façonner le réel. Il se ment d'abord à lui-même avant de mentir aux autres : "La vérité a perdu le pouvoir, ou le pouvoir qu'elle avait, de décrire la condition humaine. Ce sont les mensonges que nous racontons maintenant qui seuls peuvent révéler qui nous sommes". Sa démarche auprès de la mère biologique s'apparente plus à sa dernière chance pour se réhabiliter. Se réhabiliter auprès de son fils et aux yeux de sa précédente compagne. Un pas pour se transformer en "Paul" (le bon fils) en lieu est place de "Saul" (le mauvais fils, menacé de décapitation) comme le voyait son père atteint de folie avant sa mort, ce dernier pensant effectivement avoir deux fils. Le destin de Leila (la mère biologique) et de son fils, Billy, se révèle similaire à la vie de Karoo. Ironique et bouleversant.


A travers le personnage de "Karoo", l'auteur dresse le portrait d'un homme en perdition, jalonné de passages grinçants, attachants, tragiques et agaçants. C'est aussi une vision cinglante du monde d'Hollywood, loin du conte de fée, via Cromwell, toujours prêt à entuber les autres, ainsi que Leila, qui enchaîne les seconds rôles avant d'être systématiquement coupée au montage. En dépit de ces nombreux aspects détestables, le lecteur éprouve une certaine affection à l'égard du scénariste, y retrouvant tôt ou tard une partie de lui-même. Sans être un chef-d'oeuvre, "Karoo" possède indéniablement nombre de qualités qui le placent aisément au-dessus de la production actuelle. Une lecture recommandable, en somme !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire